Réflexion sur Midjourney

Qu'est-ce que MidJourney ? MidJourney est un système d'intelligence artificielle capable de créer des images à partir de textes entrés par l'utilisateur. Sur le site web officiel, ses créateurs se présentent comme « un laboratoire de recherche indépendant. Explorant de nouveaux mediums de pensée - selon GOOGLE.

Depuis deux semaines, mon amoureux utilise des mots clés et entre des descriptions spontanées dans une application et se retourne vers moi en s’écriant : regarde ça! C’est flyé! C’est vraiment rapide! C’est de qualité et juste en écrivant quelques mots clés, le logiciel te génère une image complètement sautée!

Sur le coup, je pensais vraiment voir des images provenant d’un autre monde, surréelles, sans vraiment comprendre comment un logiciel pouvait les générer, moi qui aime tant la photographie surréaliste, dont Tim Walker. Il arrivait le matin du travail avec son Ipad et me montrait des sacs de café dont le détail et le graphisme avaient été générés par l’application, par exemple un sac de café avec le logo de son café et une explosion de caféine avec un chat surréaliste en plein milieu, qui s’alerte devant la catastrophe.

Puis j’ai vu des images d’artistes que je reconnaissais dans des décors complètement dépaysants, surréels, imaginaires, un peu comme dans une bande-dessinée ou dans un roman graphique.

J’ai enfin soumis mon image, avec un court lexique de mots : Madonna in a volcano avatar style salvador dali.

Comme j’écoutais du Madonna le dimanche à mon shift au atomic, j’ai pensé à voir l’iconographie de l’artiste dans un décor surréaliste, dans un volcan, un phénomène qui me passionne, et dans un décor d’avatar, que nous venons d’aller voir le lendemain de Noël, avec Salvador Dali, pour une touche surréaliste.

J’ai vraiment été impressionnée par la conceptualisation du logiciel et par la beauté et la générosité de l’image, la vivacité des couleurs et la forme des textures.

Le lendemain, j’arrive dans le café de mon amoureux après un training au parc, et je m’asseois au bar. Un homme d’une quarantaine d’années lit un livre : La vie devant soi, un livre qui paraissait un peu triste.

Il me raconte que, la veille, Martin lui a montré les images générées par le logiciel Midjourney, et qu’en tant qu’illustrateur, il est contre cette initiative. Je l’écoute me dire pourquoi, et j’ai tendance à vouloir répondre sur un ton belliqueux dès que quelqu’un souhaite me faire la morale sur un phénomène ou une nouvelle technologique créative. Pourtant, il a réussi à partager mon avis.

Si un logiciel peut générer des milliers d’images par utilisateur, à partir de courtes descriptions multipliées par des algorithmes, cela veut dire que les illustrateurs et les artistes visuels peuvent être menacés par cette intelligence artificielle qui remplace le travail de recherche intellectuel et le rapport à la production en un temps record, la main d’oeuvre, la création, l’artisanat, etc… Sauf qu’aujourd’hui, tout est de l’art, tout est une image, tout est vu sous l’angle du capitalisme, comme la publicité qui est autant présente et envahissante dans notre quotidien.

Je me souviens que, à quinze ans, comme artiste, j’étais souvent choquée de voir des personnes prendre leur fourchette en photo et mettre des hashtags #art. Si tout est de l’art, que devient l’artiste? N’est-ce pas sa conscience et sa capacité de s’émerveiller, de créer malgré la quantité d’informations reçues, de trier, de semer, de travailler, de récolter et de partager le meilleur de son oeuvre? Je pense à Tim Walker, un photographe britannique que j’affectionne beaucoup depuis que j’ai quinze ans et que je suis dans l’industrie de la mode, il crée lui-même tous ses objets, qu’il construit à la main pour réaliser des photographies de mode surréalistes, ces objets étant exposés dans les musées, ou dans sa propre galerie. Si les magazines de mode engagent des logiciels pouvant générer en quelques secondes des images surréalistes, des visuels hypnotisants, que devient le labeur de l’artiste, sa vision, sa touche, son humanité et sa débrouillardise?

Personnellement, je ne veux pas me laisser menacer par aucune dictature, qu’elle soit artistique, éthique, morale, artistique, etc. C’est pourquoi j’accepte d’avoir une menace devant moi, sans non plus lui vouer un culte. C’est-à-dire que comme l’intelligence artificielle fera de plus en plus partie du monde et de nos technologies, il faut apprendre à l’utiliser à bon escient, peut-être sans s’en laisser surpasser. Par exemple, j’utiliserais Midjourney, une fois de temps en temps, comme outil de conceptualisation pour créer des moodboards lors de projets photographiques en studio. Ça me donnerait des thèmes qui me seraient utiles à l’étape de post-production, ou pour des vidéos, des thèmes qui servent à travailler soi-même les visuels souhaités et les effets spéciaux en post-production. Comme les images de Madonna dans le volcan, j’ai eu l’idée de construire un volcan et de créer un atmosphère en studio qui pourrait réfléter les thèmes générés tous ensemble sur la même image par Midjourney.

Je comprends la menace de l’intelligence artificielle pour les artistes et de ces logiciels, surtout que, nous sommes une personne à pouvoir générer un nombre infini d’images et de contenu créatif, alors que, par exemple, dans des films de science-fiction dans lesquels les visuels sont déjà performants, il y a des milliers de personnes qui travaillent sur la production et la post-production et qui ont acquis des degrés de formation à cet effet. L’art devient une usine virtuelle et l’individu se définit de plus en plus par sa production d’idées et de contenu. On perd le côté humain de la créativité, le côté rassembleur. Pourtant, les réseaux sociaux nous offrent de fantasmer sur le monde, sur les idées, sur les apparences même.

Je crois avoir laissé mon interlocuteur sur une féroce impression. Je ne voulais pas m’imposer systématiquement à lui, mais simplement lui faire comprendre que personne ni rien ne menace vraiment l’artiste. Il faut aussi cesser de trouver des excuses pour ne pas créer soi-même, et ce n’est pas Midjourney ni Elon Musk qui empêchent les artistes de créer leur vision dans le monde. Il disait haïr Elon Musk. Je lui ai répondu que je ne savais même pas ce qu’il a apporté au monde, et c’est vrai. Même un élève dans ma classe d’arts dans le cours d’enjeux et fonctions de la création a parlé d’Elon Musk avant de nous présenter son oeuvre, et je n’ai rien retenu de sa présentation orale. J’aurais préféré en savoir sur la personne ou sur l’artiste qui l’inspire ou a inspiré son oeuvre, que de savoir qu’il l’hait. Haïr quelqu’un ou quelque chose, c’est lui accorder beaucoup trop d’importance. Pour moi, c’est un mécanisme qui nous empêche d’aimer ce que nous sommes et ce que nous faisons dans le concret et le moment présent. Peut-être que nous désirons quelque chose de cet objet, de ce logiciel ou de cet humain que nous haïssons, individuellement ou en groupe. En groupe plus facilement. Ce n’est pas parce que je veux la fortune d’Elon Musk, mais parce que j’aimerais vivre de mon art et je m’en empêche. Cultiver la haine, c’est cultiver un sentiment de culpabilité chez l’interlocuteur. Tu ne peux pas faire ça ni croire ça, parce que celui qui a cru ci ou fait ça, je l’haïs ou nous l’haïssons. À partir du moment ou j’haïs un artiste ou un logiciel, je me sens impuissant. Je ne suis pas l’artiste que je veux être. Je ne suis pas en train de créer ce que je voudrais créer. Je donne beaucoup d’importance à l’autre en l’haïssant.

Pour terminer cela en beauté, je crois que je comprends les artistes de se sentir menacés par l’intelligence artificielle, et je comprends aussi ceux qui ne veulent pas se laisser impressionnés par la technologie, ou l’utiliser à bon escient dans leur démarche plutôt que de se battre contre cette dernière.

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