Quelle est la place de la laideur dans l’art?

Quel est le rapport de la laideur dans l’art ?

L’art est fondamentalement laid. Laid aux yeux de la normalité, de la conformité, laid aux yeux de ceux qui ont dédain des émotions, des luttes et des questionnements humains, laid pour ceux qui ne se questionnent pas en dehors des normes et des moeurs. D’une autre part, l’art est fondamentalement beau et salvateur pour ceux dont le coeur a envie de crier une vérité, crier un désir, créer une paix, une paix personnelle ou universelle. On parle alors de subjectivité dans l’art. Tout le monde est différent et nos perspectives sur l’esthétique nous le prouve. Aujourd’hui, l’esthétique surpasse la contrainte du beau/laid, on se demande même si l’âme derrière l’oeuvre ou les propos derrière l’oeuvre sont beaux/laids. D’une certaine façon, on discrimine ou on adopte un objet, dans une culture définie, selon ce qui est socialement acceptable. Est-ce une question de peur, d’ouverture d’esprit ou d’éducation? La beauté a un aspect intuitif, alors que la laideur provient peut-être d’un jugement. Je considère laid ce que je ne comprend pas, ce qui échappe à ma bonne conscience. Hors, dans la société contemporaine, nous sommes des gens très bien. Très bien éduqués, très bien rangés, très bien organisés. Nous voulons rarement que nos certitudes soient déstabilisées. Le quotidien a déjà son lot d’épreuves. Peut-être faut-il un peu de stabilité pour apprécier l’instabilité. Peut-être faut-il un peu de beauté en soi pour accepter la laideur du monde, l’aimer malgré l’inconfort.

Une phrase dit : ‘’l’ouverture d’esprit n’est pas une fracture du crâne’’ Hors, la créativité est souvent vue comme une sorte de folie particulière quand on n’en comprend pas l’essence. L’ouverture d’esprit, est-ce inné ou acquis? À suivre…

Pour revenir sur les oeuvres de Cindy Sherman comme dans ma réponse formelle aux questions de la semaine, je crois qu’elle y tisse une réflexion pertinente sur le sort de la beauté comme étant un produit éphémère. La beauté a ses limites, comme toute chose. Les stars, les mannequins, ont toutes une carrière écourtée par les préjugés de la société et des autres. La beauté fait face à autant d’intolérances que la laideur, sinon plus. Elle nous empêche de se complaire, c’est pourquoi dans plusieurs systèmes totalitaires, l’art a été proscrit, parce que la religion, par exemple, faisait naître toutes sortes d’inégalités et de perversions, la beauté qui les décriait ne pouvait pas exister ni survivre ou devenir une nouvelle norme, parce qu’elle dénonçait la perversité d’un système. On devient habitué de vivre dans une certaine culture quand elle ne dénonce pas ses anormalités, ses vices et ses crimes. L’art a toujours été un canal de dénonciation pour les artistes. On y voit, dans les oeuvres de Cindy Sherman, des représentations en hôpitaux psychiatriques, d’une femme belle, enjouée, pourtant clouée à des tubes respiratoires, qui questionne le monde contemporain. On y remarque une interprétation du caractère grossier, de la comédie, de la folie, qui sont des tabous un peu en société, parce que la femme doit rester belle. Il y a une superposition de textures, d’éclairages et de costumes, des déformations du visage qui illustre justement l’aspect décousu de la beauté : la beauté demande qu’on l’entretienne, individuellement ou socialement. Que ce soit la beauté d’un corps, la beauté d’un monument, la beauté d’une fête ou d’une rencontre. Toute belle chose demande un effort. La déconstruction de la beauté suggère qu’on doit aussi la reconstruire, ou l’accepter comme étant autre chose qu’un modèle prédéfini. Pourquoi une chose est belle et une autre est laide, c’est sûrement le regard qu’on y porte, mais surtout le jugement qui s’y greffe, comme une épine dans une soie.

On peut penser à ce que l’art a un aspect ‘’sauveur’’ dans un monde d’enjeux sociaux si présents, si dévastateurs. L’art nous apporte une conscience plus lumineuse, et peut confronter l’esprit autodestructeur du monde. Pourquoi faire mieux quand les choses sont telles qu’elles sont, et que mettre l’effort pour penser la beauté nous tire tant de notre zone de confort? Pourquoi penser l’éveil alors qu’on peut continuer à juger pour se rassurer nous-mêmes de nos certitudes sur le monde? La beauté a une sorte d’éveil, qui suscite les instincts assassins, la jalousie des autres. Ceux qui vivent dans la noirceur, la pauvreté de leur être. Apprendre à s’aimer inconditionnellement est une belle chose, c’est un acte qui permet de percevoir la beauté et la laideur du monde dans une voie d’acceptation. Le Ying a besoin du Yang et vice-versa.

Dans la révolution tranquille, on a vu par exemple, les artistes qui se sont consterné pour faire émerger leur courant artistique, faire survivre une essence oubliée : l’expression des citoyens et citoyennes. La religion avait étouffé cet aspect. C’est là qu’on a vu les oeuvres de Paul Émile Borduas ressurgir, et son manuscrit, Le Refus Global, il était un avant-gardiste qui avait compris que le monde avait besoin d’un souffle créateur, il en a d’ailleurs inspiré d’autres à briser le couvert de la religion. Paul Émile créait des peintures abstraites, hors, l’abstraction suggère une forme de beauté, elle rend le peintre libre du mouvement qu’il crée. N’y-a-t-il pas une plus belle vie que celle vécue dans la liberté ?

On peut parler de la MONA LISA, une oeuvre à mon sens fascinante, qui a suscité l’envie et le vandalisme dans les musées. La beauté a un désir de liberté, donc certains l’enferment dans des jugements, projètent sur elle ce qu’ils n’aiment pas d’eux-mêmes. Quand ils ont découvert que la beauté des yeux profonds attiraient plus les regards que les ornements riches, ils ont décidé d’humilier la beauté comme ils s’humilient eux-mêmes. D’après mes lectures, Lajoconde, était une représentation des fantasmes du peintre Léonard Da Vinci, selon certaines bibles d’archives sur l’histoire de l’art, elle aurait vécu soixante-trois ans et aurait survécu au sabotage de poètes fous qui l’auraient volée au Louvres, ou, auraient-ils été accusés à tort. La beauté dérange. Comme Marilyn Monroe dérangeait les soldats, dérangeait l’ordre d’un monde impur, qui crache sur le pur, parce que le pur rappèle ce dont nous ne prenons pas soin, socialement. Prenons-nous soin de la beauté? Prenons-nous soin de l’amour? Du vent? Des rencontres? De la nature? Ce sont tous ces aspects que l’art représente, mieux que n’importe quelle industrie. La beauté a une certaine ignorance, hors, c’est une règle d’or, l’ignorance, pour réussir. Un discours n’est pas nécessairement un savoir. Un regard et une curiosité sont une ouverture sur le monde. Un récit mythologique. Ève, par exemple, n’en savait pas plus sur le monde que quelqu’un d’autre. C’est la beauté, la naïveté et le questionnement qui fait de l’artiste un génie et de l’être une fascination : il questionne, il laisse le monde cloué à ses affirmations. Il ose. Une question est plus déstabilisante qu’une affirmation. J’existe, ou, est-ce que j’existe? En me posant la question, exister devient mon seul combat. Ma lutte. Ma vie me sert à répondre à cette contradiction. Suis-je vivant? Suis-je vivante? L’ignorance a quelque chose de beau. Ni Mona Lisa, ni Léonard Da Vinci, ne savait que son oeuvre allait être revendue à un milliard de dollars au Louvres. Aujourd’hui, posez la question à des amateurs d’arts à savoir si ils connaissent la Mona Lisa. Ils répondront tous que oui. Et les meilleurs connaisseurs savent quelle est sa valeur institutionnelle. Ils en savent plus sur la Mona Lisa que la Mona Lisa elle-même, j’en suis convaincue. C’est pour ça qu’elle nous échappe, qu’elle frustre nos connaissances. C’est la beauté et tout son registre qui suggère ça. L’artiste a un désir d’être libre, coûte que coûte, qu’il soit emprisonné ou libre dans le monde. Sa conscience s’enferme pour répondre à ce désir de liberté, souvent trop grand pour le commun des mortels.

Yayo Kusama crée des points pour illustrer l’oblitération du monde, donc, le très grand cosmos, ce qui nous échappe, ce qui nous protège et nous guide en même temps. C’est sûrement un refuge pour elle, dans lequel sa souffrance trouve un grand repos. La conscience que l’on est un point dans l’univers, apporte à l’identité une certaine consolation : je suis protégé des horreurs du monde et de la laideur, parce que, j’ai déjà existé ou je n’existe pas encore, peu importe, je ferai mon chemin. Je suis ce point qui erre, qui attend, ou qui veille sur le monde, parmi tant d’autres. Je comprends que quand j’accepte l’état du monde, je vis, je suis moi-même, et ma conscience s’incarne. Je ne pense pas à ceux qui ont plus ou ceux qui ont moins, je pense à la justesse de ma présence et à celle des autres. Je m’inscris dans l’histoire, comme dans une constellation. Je suis une lumière, comme une étoile. J’éclaire le monde, je lui rend justice, si il me rejète.

Dans la douleur naît une forme d’éveil, Frida Khalo nous l’a démontré. Le mal fait naître une compulsion, presque céleste, on veut s’abreuver du monde pour survivre, on veut se voir, se peindre et s’admirer pour se comprendre, pour ne pas céder aux préjugés des autres. J’ai le droit de souffrir et de m’exprimer, même si d’autres vivent pire ou mieux, je fais face à mon humiliation ou à l’humiliation d’un monde qui nie les désirs, qui a honte et qui divise pour gérer la honte, qui insiste sur la souffrance comme étant une fatalité. J’ai une spiritualité qui transcende le jugement de l’autre. Il pourrait me dire que je suis fou, que je suis fini, que je ne suis pas si spéciale que ça, je résiste et je m’exprime. C’est l’amour de soi.


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