Lettre aux humains

J’ai décidé d’écrire une lettre aux humains pour parler de plusieurs sujets. Dont l’amour inconditionnel, qui m’a value d’être prise pour une délirante. Dont la passion et la beauté, qui m’ont value un visage de Joker. De mes amours qui m’ont value des humiliations. J’ai écrit une SAGA depuis le début de l’hiver, pour me tenir bien au chaud dans mes idées et dans mon atelier, une SAGA dont j’ai créé et incarné plusieurs personnages. En même temps, j’en ai profité pour parler de dix années de thérapies diverses, à vivre sous l’effigie de la folie plutôt que sous celui de la beauté, comme j’ai fait dans mon adolescence. De l’isolement perpétuel et de la violence. De l’amour sous contraintes. De l’intelligence sous conditions de langage, d’habitudes, de moeurs, contraignant l’intuition à un trou noir. Je n’ai pas perdu espoir dans l’histoire, dans ma propre histoire et dans celle du monde. Je ne suis pas victime de ce monde, je suis un animal de théâtre dans une jungle, un lion qui hurle. Je me suis déguisée pendant trois ans, à tous les jours, pour parler du jeu, de l’imperfection et de l’amour inconditionnel. Pourquoi serait-ce un délire? Pourtant Bouddha ne semblait pas porter de jugements moraux quand je lis sur lui. Est-ce un don, une aptitude, un talent incompris, un désir profondément utopique dans un monde qui ne comprend pas notre bouillonnement intérieur? J’ai avalé les paroles des autres comme des balles de fusil, que j’ai recrachées à la face du monde, soit à travers un écran. Je n’ai jamais pensé que le monde pouvait fonctionner sans aimer, sans s’aimer d’abord soi-même avec des lois plus fondamentales qu’identitaires. Avoir le droit d’être et aimer, ce sont les questions que je me pose avant de savoir si les autres comprennent n’importe quel autre aspect de ma personne, de ma construction, de mon identité. Pourtant c’est ce qu’on a enlevé aux fous et aux folles : le droit d’être et d’aimer. Dans l’art bouddhiste, je m’intéresse aux représentations de la roue du Dharma, et, au lion, qui est un animal puissant évoquant le territoire. Un territoire isolé ne nous permet pas de vivre en société, en harmonie avec les autres, de créer en collaboration avec sa voie intérieure et la voix cosmique. J’en avais vraiment marre des jugements moraux, des êtres humains qui jugent tout ce qu’ils ne comprennent pas, qui prennent une jouissance dans la souffrance de la différence : pourtant ce sont ceux qui disent souvent être différents qui projètent l’humiliation qu’ils ont subie. La souffrance, je la vois dans les organismes communautaires depuis que j’ai quinze ans, et je me sens comme si je devais porter celle des autres, la comprendre, l’écrire, la soulever dans mon être jusqu’à une douce mort de mon âme, jusqu’à ce qu’elle s’élève dans un processus de création salvateur.

Je pensais que l’amour était plus puissant que la haine, j’ai lu dans le livre de Gandhi que, pour cesser d’être humilié, il fallait d’abord cesser d’humilier. Je suis allée peindre des Bouddhas et j’ai fait pousser des fleurs. J’ai fait des photos, j’ai rempli plusieurs pellicules tout en méditant sur l’amour inconditionnel en me rendant compte que plusieurs personnes aimaient voir ma souffrance, qui au fond, n’était pas la mienne, mais celle d’un monde absurde, injuste, qui aime conditionnellement. Sous des valeurs éthiques, esthétiques, morales, intellectuelles. Pour moi, tout ça c’est du jargon. Parce que mon corps le refuse automatiquement. Mes pulsions sont amour-haine, haine résonnant d’un profond combat à défendre un acte envers soi qu’on me dit être du délire. Punir pour mieux régner sur l’autre. Punir mes perruques, punir mon identité, mon ignorance. Ils n’ont pas l’énergie parce qu’ils me comprennent pas.

En cherchant sur l’Inde, je me suis intéressée à la marche, parce que, j’ai marché longtemps en état de panique, pour fuir des idées que les autres avaient sur moi. Et je me suis arrêtée presque partout dans la ville de Montréal, et beaucoup m’ont parlé de mon âme. Après trois ans, il me semble qu’il ne restait plus rien, que des tentatives de survie et de me raisonner sur un aspect fondamental de mon existence : est-ce que je m’aime? Est-ce que j’aime inconditionnellement? Si la réponse est non et qu’on me répond que ma quête est un délire dans un monde borné d’idées, je vais la suivre et l’étudier de manière reposée.

Je savais cette fatalité juste en voyant le monde : je suis l’autre qui souffre. Depuis que je suis née. Et je ne comprends pas pourquoi tant de monde dans mon entourage se sentent immunisés contre le mal, la folie, et se prennent plaisir à en bâtir un discours rassurant.

J’écris car je ne comprends pas, et si j’écrivais car je comprends, je pense que je me sentirais vite fatiguée. De l’impuissance du système médical devant la créativité, devant la jeunesse, j’ai des dons et t’as des armes, morales, intellectuelles, un discours que toute une société a accepté pour exclure ceux qu’on a pas le courage de comprendre, d’élever dans une conscience plus lumineuse.

Ils jugent jusqu’à en perdre la tête.

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